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30 janvier 2021 6 30 /01 /janvier /2021 20:52

     J’avais des craintes à propos du vilebrequin : outre son état bien marqué par le temps, (filetages qui ont souffert, marques de mors d'étau, bague de tête de bielle qui a tourné sur le maneton ....)  le serrage du maneton me paraissait bien faible, il avait mal supporté le démontage, et lors de l’alignement des soies j’aurais pu me contenter du seul manche de mon indispensable marteau de cuivre pour taper. (clic droit pour agrandir les photos)

     L’évènement redouté s’est produit : après un peu de fonctionnement à vide, j’ai bien vu que le volant extérieur ne tournait plus rond, de plus, je dois l’avouer, je n’avais serré ce volant que provisoirement alors que même pour un fonctionnement à vide, il doit être serré énergiquement. Bilan : une clavette qui a élargi son logement sur la soie du vilebrequin, je m'en serais passé.

     Au démontage je confirme que les soies sont déjà un peu désalignées. Réajuster et faire trois points de soudure sur le maneton ne fait pas partie de mes principes sauf cas d'extrême nécessité.

 

 

     Et si j’osais …. Puisque j’ai maintenant un puissant tour avec un énorme mandrin de 80 mm et 300 mm d’entre-pointes ….

 

     Les principes retenus pour la réalisation.

     Les prises de tête et les élucubrations ont été nombreuses, voici le fruit de mes insomnies mais si ma prose vous ennuie passez tout de suite au paragraphe « au travail »

     - le vilebrequin d’origine est en deux parties monoblocs :  maneton masse et soie côté transmission d’une part et masse et soie côté magnéto d’autre part.

     Le mien sera constitué de cinq parties emmanchées à force : deux soies, deux masses et un maneton et comme j'ai envie de m'amuser, je mets un point d'honneur à faire le plus possible de choses par moi-même.

      - ma radinerie chronique m’interdit tout traitement thermique ou reprise d’usinage après assemblage dans un atelier spécialisé, d’où la nécessité de garantir la géométrie lors des emmanchements des soies et maneton, s'ensuivent les décisions suivantes :

          - choix d’un acier 30CND8  traité à 110 kg/m2 à la rupture : http://www.metonorm.com/content/fr/Dossiers/87/Les_aciers_a_110_Kg/

          - pour garantir le bon parallélisme des soies et du maneton, leurs logements dans les masses seront alésés sur fraiseuse par mon copain qui dispose de l’outillage et du savoir-faire, les deux masses seront boulonnées entre elles pendant l’usinage pour garantir leur similitude.

          - les soies et maneton seront prolongées par un moignon glissant juste pour assurer le bon alignement lors de l’emmanchement.

          - les emmanchements ne seront pas faits à la presse par peur d’un mauvais équerrage de celle-ci, mais en tirant avec un gros écrou vissé dans un filetage qui prolonge le manchon de centrage. Le manchon sera sectionné ensuite.

     - pas de soudure pour sécuriser les accouplements car une soudure fait perdre le serrage : le métal chaud ne peut pas se dilater radialement donc il gonfle axialement et lors du refroidissement il se rétracte en laissant une contrainte interne de traction d’où une perte de serrage, à l’instar de la technique utilisée pour extraire des sièges de soupape ou des cages de roulements usagées. De plus si le cordon ou les points de soudure ne sont pas idéalement répartis, c’est la perte de l’équerrage garantie.

     - Les logements des clavettes côté volant et côté pignon de magnéto ne seront pas faits, le seul serrage suffira largement. Après tout sur ma puissante (?) BMW R60/5 le croisillon de cardan de sortie de boîte n’était pas claveté, seul le serrage de l’écrou de M16x150 à 22 daNm garantissait le passage du couple bien plus important des 600 cc après multiplication par le rapport de boîte. Par précaution l'écrou sera du M 16x150 au lieu de M14x200 à l'origine et je limiterai le couple de serrage à 110 N.m.

     Un peu d'approche théorique. (parce que j'aime bien être ennuyeux)

     Comme les bouts de fer commandés tardent à arriver en cette période de fin d'année et qu'il faut bien s'occuper,  je me lance dans un peu d'approche théorique mais ne vous en voudrai pas si vous passez tout de suite au paragraphe "Au travail".

 

    Le serrage des divers emmanchements.

     On trouve sur le net un excellent site de calculs que je recommande aux curieux. http://y.callaud.free.fr/index.html . On y trouve en particulier des calculs d’emmanchement avec le serrage nécessaire en fonction du couple à transmettre ainsi que l’effort d’emmanchement correspondant. J’ai parcouru les formules de calcul utilisées et j’ai parfaitement retrouvé de vieilles connaissances oubliées depuis fort longtemps : un couple à transmettre sur un rayon donné détermine la force tangentielle nécessaire, elle -même égale au produit de la surface en contact par le coefficient de frottement et la pression de contact, en fonction des caractéristiques du métal, module d’Young et coefficient de Poisson, le calcul détermine le serrage (l’interférence) nécessaire ainsi que l‘effort d’emmanchement.

 

     Comme bien souvent la grande rigueur de ce  type de calcul est bafouée par l’application d’un « coefficient de sécurité » tiré du chapeau dont la valeur à beaucoup plus d’influence sur le résultat final que le calcul pourtant parfaitement exact.

     Nota : l'état de surface des zones en contact doit être bon, le programme indique une loi empirique de perte de serrage en fonction de leur état de surface.

Valeur conventionnelle de perte de serrage en fonction de l’état de surface :  3 x (Rugosité arithmétique arbre + Rugosité arithmétique alésage)

     De même tout arrachement de métal lors de l’assemblage a pour effet de diminuer le serrage, Je crois savoir que c'est pour cette raison que certains vilebrequins assemblés modernes ont les surfaces en contact rectifiées et cémentées (ce qui permet aussi les montages et démontages ultérieurs sans dégradation).

     C'est bien beau ce programme de calcul mais quelle est la valeur du couple maxi de doit encaisser cette liaison ?

    Valeur du couple maximum que doivent supporter les emmanchements. Je me limiterai à l'étude de la liaison volant / soie côté transmission.

     Le couple auquel est soumise cette liaison est variable au cours des 360 d° du tour moteur, il est la somme de deux composantes qui évoluent le long du tour moteur.

     - le couple « gaz » résultant de la combustion et du transvasement des gaz, son maximum se situe à plein gaz et régime moyen dans une plage que j'évalue à 60 degrés peu après le pmh. Mon pifomètre me dit que si mon moteur développe un couple maxi moyen de 1 daNm, le maximum est d’environ 1x360/60 = 6 daNm.

     - le couple "d’inertie" dû aux variations de vitesse du piston, ce couple est frein quand le piston s’écarte des points morts en prélevant de l’énergie au volant moteur pour accélérer, il est moteur quand le piston ralentit en restituant son énergie cinétique à l’approche des points morts. Sur les moteurs dont le volant d'inertie est interne, soit le cas le plus fréquent, l'accouplement de sortie moteur ne subit pas le couple d'inertie. La valeur moyenne sur un tour du couple d’inertie est nulle, seul le couple gaz fait avancer la moto mais à haut régime et gaz coupés, même au point mort, c’est le couple d'inertie qui sollicite l’emmanchement soie/masse ainsi que l'accouplement soie volant externe....et qui élargit les logements de clavette quand un étourdi n'a pas serré l'écrou !!!! .

     Pour évaluer sa valeur je réveille mon programme de calcul développé sur Excel avec les paramètres de mon moteur : (course = 60 mm, bielle = 130 mm, piston =  311 g, masse en translation : 440 g)et je trouve 2,4 daNm à 3000t/mn. (pour info cette valeur croit comme le carré du régime elle serait de 9.5 daNm à 6000 t/mn).

Nota: dans la zone angulaire correspondant à la combustion le couple gaz est au maximum tandis que le couple d'inertie est aussi à son maximum et de sens opposé, à haut régime sur les moteurs modernes, le couple d'inertie peut être du même ordre de grandeur et de sens opposé au couple gaz au plus fort de la combustion.

 

 

Un vilebrequin pour la P102

     Et puisque mon chapeau contient encore quelques coefficients de sécurité, je me dis que le couple le plus sévère à prendre en compte est peut-être l’à coup que subit le moteur lors du passage sur un nid de poule ou lors d’un démarrage à la poussette, situations dans lesquelles la légendaire raideur de la transmimsion par courroie se fait un plaisir de martyriser la mécanique. J’oublie donc tous mes calculs et avec toute la rigueur scientifique qui me caractérise, je fouille dans mon chapeau et j’y trouve la valeur de 20 daNm : adjugé, vendu ! (en toute rigueur quand le volant est extérieur au moteur, c'est lui qui encaisse les à coups de transmission et non la liaison entre volant et vilebrequin : à la limite si le volant était immensément lourd il isolerait complètement le moteur des à coups de la transmission, mais mon chapeau est parfois aveugle)

     Je retourne au calcul du serrage...non sans appliquer un coefficient de sécurité savamment pifométré à 2.5 (je serais malheureux si je n’avais pas de chapeau) : résultat : le serrage sera égal à 0.106 mm. (Il est fort probable que la vue de nombreux ensembles soie et masses forgées et usinées dans un seul bloc et non assemblés ait donné plus de poids à mon "trouillomètre" qu'à mes considérations théoriques, d'autant plus que les pièces en présence, massives et ductiles ne risquent pas d'éclater)

Un vilebrequin pour la P102

     Finies les cogitations ennuyeuses, au travail.

     USINAGES

     Les bouts de fer sont arrivés, les outils HSS "home made" sont affutés, les palmers et comparateurs sont impatients, en attendant je me suis fait la main en réalisant une soie côté volant dans un rond d'acier mi-dur sur la base d'un alésage de la masse à 20.40 mm.(n'oubliez pas le clic droit pour agrandir les photos)

     Réalisation préalable d'une bague alésée conique pour matérialiser un plan de jauge et bien respecter les côtes axiales.

     1 Les masses sont dressés et échancrés. Pour la prise de pièce sur mon mini-tour il a fallu usiner un manchon dont la face de référence latérale est soigneusement dressée avant chaque prise de pièce.

     C'est raide le 30CND8 à 110 kg ! Le HSS au Cobalt est vite usé du fait de la vitesse périphérique élevée,  le carbure est indispensable, je limite la profondeur de passe à 0.15 mm pour réduire les efforts sur le tour.

 

     Réalisation des échancrures.

 

    2 alésage des logements de soies et de maneton.

     Le montage des roulements avec un serrage de 0.01 mm impose un diamètre de 20.01 mm de la soie, L'alésage de son logement a été réalisé à 20.00 mm, le diamètre de la soie sera donc ajusté à 20.10 mm dans la zone de serrage.

    Le diamètre intérieur de la bague de tête de bielle est de 16.10 mm ce qui fixe le diamètre des manetons à 16.11 mm. L'alésage des masses a été réalisé à  16.01 mm.

     Au passage je me réjouis de l'exactitude de mon petit intalomètre d'occasion qui me donne exactement la même valeur que l'appareil à trois touches de précision.

    3 Soie côté volant.

     Pour une précision optimale l'usinage est fait "entre pointes", la contrepointe est mise en ligne au préalable.  Grosse difficulté pour l'usinage de ce métal (sans souffre) car la moindre hésitation de l'outil surchauffe et trempe le métal et la faible rigidité de mon jouet favorise les vibrations.

     Ajustement du chariot porte-outil à 4.5% à l'aide d'un comparateur pour la portée du volant.

 

     Filetages à M 20x150 côté emmanchement et M16x150 côté volant moteur.

     Et voila l'objet terminé.

 

 

 

     5 Maneton.

     Le montage légèrement serré de la bague de tête de bielle impose le diamètre  16.11mm, les zones de centrages sont tournées à 16.01 et l'emmanchement sera fait au moyen d'écrous de M16x150.

 

     6 Soie côté magnéto,

     La procédure est la même : je ne réalise pas de logement de clavette, je fais confiance au seul serrage axial du pignon de magnéto par l'écrou M10x150.

     Voici le chef d’œuvre. Pour être franc j'ai un peu "bouffé la côte", le serrage ne sera que de 0.07 mm mais il n'y a que l'entraînement de la magnéto de ce côté-là donc ça suffira).

.

 

    

    ASSEMBLAGE

  Assemblage soie/masse.

     Quelques précautions : mon soucis permanent de sauvegarder l'alignement des pièces emmanchées m'incite à dresser correctement la face de l'écrou, de plus son serrage sera réalisé par une liaison à cardan pour éviter toute contrainte radiale et mise en travers de la soie. Par curiosité le couple de serrage sera mesuré avec une clé dynamométrique.

  Prévision du couple à appliquer sur l'écrou :

      Un peu de théorie : dans le cas utopique où il n'y aurait aucun frottement, serrer un écrou au pas de 150 avec une clé de UN mètre de long reviendrait à utiliser un levier dont le rapport serait 6280 (périmètre du cercle de 1m de rayon) divisé par le pas de la vis, soit une rapport de 6280/1.5 = 4187 . La présence des frottement réduit fortement le rendement de ce "levier" , la littérature indique qu'il est de 5% à 10% suivant la finition  des pièces en contact, (valeur que j'ai déjà eu l'occasion de constater)

      Dans le cas présent : effort d'emmanchement issu du calcul est de 50000 N si on part de l'hypothèse d'un bon rendement de 10% la valeur de couple attendue est de : 50000 x1.50/6280/0.1= 119 Nm. Dans l'hypothèse d'un mauvais rendement de 5% ce couple devient égal à 238 Nm.

     J'ai noté la valeur de 146 Nm pour réaliser l'emmanchement, la théorie n'est donc pas trop mauvaise.

 

     Contrôle de la côte d'emmanchement par rapport au plan de jauge.

     Confirmation du bon positionnement axial du cône à 4.5% sur le cadre (alignement des pignons primaire et entrée de boîte de vitesse). le demi vilebrequin est monté avec un faux roulement. Comme je m'y attendais le défaut présent à l'origine est toujours là,je dois décaler le cône de 3 mm pour aligner les pignons de moteur et de boîte de vitesse et éviter tout frottement de la chaîne primaire contre le volant moteur.

 

    Assemblage soie magnéto et masse.

     La méthode est la même, le serrage n'est que de 0.07 mm, je n'ai pas poli la zone de serrage de peur de perdre du serrage, le couple nécessaire a été de 135 Nm. Et voila une deuxième pièce faite.

 .

Emmanchement du maneton

     Un peu de métrologie préalable pour vérifier l'éventuelle nécessité de rondelle d'épaisseur pour vérifier le bon fonctionnement du roulement de tête de bielle et ajuster la largeur totale du vilebrequin : OK c'est bon comme ça.

      Le couple de serrage a été de 85 N.m tandis que l'approche théorique donne un effort d'emmanchement de 34000 N correspondant à un couple de 81 N.m pour un rendement de 10% du système vis/écrou.

 

 

     Assemblage final et contrôle de l'alignement des soies.

     - le fait de tirer plutôt que pousser est particulièrement intéressant dans le cas du maneton, car la contrainte résiduelle de traction comprime l’assemblage comme le ferait un boulon traversant. La bague interne du roulement de tête de bielle montée légèrement dure sur le maneton sera ainsi bien serrée entre les masses et participera à la rigidité du montage. Pour obtenir cette tension résiduelle l’effort de traction appliqué sera supérieur au minimum nécessaire pour seulement mettre les pièces en contact.

     Tout au long de l'assemblage il faut vérifier et corriger l'alignement des soies entre pointes car, comme je le redoutais, l'assemblage du maneton par système  vis-écrou a tendance à tout faire tourner. Finesse et brutalité : la cohabitation du frêle comparateur et du gros marteau de cuivre m'amuse. Le couple final d'assemblage a été de 87 N.m mais j'ai serré jusqu'à 110 N.m pour maintenir le système en tension. (j'étais tellement fébrile avec mes histoire de serrage et d'emmanchement que j'ai failli oublier de mettre la bielle!).

 

   

     Je dois avouer que l'alignement final des soies fut quelque peu laborieux et disons ...viril. . Le verdict du comparateur était clair : les soies étaient bien parallèles et ça c'est une excellente nouvelle qui signifie que la méthode d'assemblage n'a pas dégradé la géométrie des pièces, mais les soies étaient décalées de 0.10 mm. Il a fallu taper vraiment très fort, dire que sur le vieux vilebrequin le manche du marteau aurait suffi. Les plus ou moins 0.03 mm ont finalement  été obtenus, celui-la il n'est pas près de se décaler  .

     Après ablation des moignons voici l'objet.

 

     Ajustement du jeu latéral du vilebrequin dans le carter à l'aide de faux roulements.

 

 

     C'est beau, c'est rigide, ça tourne sans jeu ni point dur, c'est parti pour un tour du monde..

 

     Je sais qu'un tourneur professionnel équipé d'un vrai tour aurait fait ça en vingt fois moins de temps que moi, ou qu'un atelier spécialisé aurait choisi une ébauche forgée avec usinage, traitement thermique et reprise d'usinage de finition ... et moi je me serais ennuyé. Certains à ma place auraient cherché un autre moteur mais moi j'aime bien mériter mes kilomètres.

 

    

.

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commentaires

R
Joli travail frangin!
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A
Une source d'émerveillement, merci de partager vos savoirs multiples.
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C
Quel boulot !!!!
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P
Joli résultat final. Ca devrait tenir un moment!
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N
Tout simplement impressionnant ce travail.<br /> Il faut vraiment être à la fois compétant et passionné.<br /> Bravo Monsieur Henri Mazet
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F
N'en jette pas trop Joachim, j'ai les chevilles qui enflent :)

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